#5 – La santé du musicien (2e partie)

#5 - La santé du musicien (2e partie)
ou l’histoire de pieds et de mains… en passant par le pouce de César

Cette semaine je reprends la thématique de la santé du musicien dont j’ai commencé l’exploration lors de mon dernier article. 

Santé physique… et mentale

Bien sûr après avoir annoncé le thème la semaine dernière, je me suis tout de suite lancée sur la santé physique. Mais comme le précisait avec grande justesse Anthony en commentaire, cette thématique est indissociable de la santé mentale.

Vous vous souvenez peut-être, dans l’article consacré au « trac », je vous parlais déjà de la relation entre le corporel, l’émotionnel et le mental. Parfois, l’enjeu de la santé du musicien se décline de manière indéniablement psychosomatique.

 

Mauvaise nouvelle : je n’ai pas fini de décliner les challenges de la vie de musicien pour sa santé.

 

Car certes, la musique est à consommer sans modération. 🍷 

 

Mais on peut se demander si être musicien ne nuirait pas parfois à la santé  !

Un rythme (de vie)… d’enfer 👹

Aux challenges liés au corps très sollicité du musicien que nous avons déjà vus, s’ajoute un aspect à ne pas sous-estimer : un rythme de vie parfois effréné. 

 

Les musiciens ne sont pas en reste face à la thématique généralisée de nos sociétés qu’est le burn-out.  Sans aller jusque là, il n’est pas rare que les musiciens alternent des phases d’activités irrégulières et le surmenage guette lors de tournées très intenses, où on dort chaque soir dans un hôtel différent, où les voyages se succèdent. 

 

Entre trains et avions, on ne sait littéralement plus où on habite, ni dans quelle ville on décolle ou atterrit. Les nuits sont aussi souvent trop courtes après les concerts pour permettre une bonne récupération physique. 

L’art des pauses⏱🏃

Dans cette course contre la montre, il est rare d’arriver à « prendre le temps » de faire des pauses après avoir joué, de faire des gestes nécessaires qui vont permettre de rééquilibrer le corps, compenser les asymétries ou les déséquilibres que nous avons créés et entretenus en jouant. 

 

Il serait pourtant important de « sortir l’instrument de son corps », de se « démouler ».

 

Il n’est pas rare de voir un violoniste continuer à « porter » virtuellement son instrument sur l’épaule gauche, même lorsqu’il marche dans la rue.

 

Facteur aggravant : il n’est pas dans les cultures des musiciens de faire des pauses. Souvent porté par la musique, on se laisse … emporter. Et il est bien connu que quand on aime, on ne compte pas…

 

Et puis, le mental, toujours le mental. A cela s’ajoute les tensions musculaires qui viennent faire écho à une attitude volontaire. Dur d’intégrer le « Less is more » dans sa pratique…

La pratique sportive 🏃🚴🏊

Un autre obstacle lié au rythme de vie irrégulier et aux déplacements fréquents, est le fait de ne pas arriver à installer une pratique sportive régulière. Et là, je parle en connaissance de cause. 

 

J’avoue, certains de mes collègues y arrivent de manière remarquable. Je les admire ! 👏

 

Car non seulement, un musicien a besoin de s’étirer, de développer sa conscience corporelle mais aussi d’avoir une sacrée endurance pour avoir le souffle et être capable de tenir dans de longs programmes très physiques.

Le jetlag 😴😱

Et je ne préfère même pas aborder en détail la gestion du jetlag, sujet qui pourrait faire à lui tout seul l’objet d’un article !

 

Par exemple, il m’est arrivé de jouer le Concerto de Brahms ( 40 minutes de musique de haute densité musicale et de haute voltige – épreuve d’effort comme disent les cardiologues ! ) le surlendemain de mon arrivée au Japon pour un concert programmé à midi. 

 

Ce qui voulait donc dire qu’il était 6 heures du matin pour mon horloge interne. 

 

Un sacré challenge physique et mental ! 😨

Quand lever le pied… n’est pas de tout repos

Un autre cas où il est impossible de bien « doser » son travail et où on peut y laisser des « plumes »,  est le remplacement au pied levé. Quand par exemple, un soliste programmé doit annuler quelques jours ou même quelques heures avant un concert, il faut le remplacer en dernière minute. 

 

J’avoue, j’ai toujours adoré cette expression…étrangement visuelle. Comme si on allait finir par jouer sur scène avec un pied en l’air. 😅

 

Pas si absurde, en fait, si on pense à l’intensité de ce genre de préparation en quatrième vitesse où on a effectivement l’impression d’avancer sur un fil. Funambulisme musical…

La tétanie de Wagner

Un cas de figure qui me vient comme exemple de corps de musicien mis en danger, c’est celui du musicien d’orchestre qui va jouer pendant quatre à cinq heures un opéra de Wagner. Au violon par exemple on trouve de longues pages d’arpèges injouables et de trémolos. 

 

Le trémolo, c’est cette technique d’archet où on frotte la corde dans un mouvement très rapide, cela produit l’effet d’un tremblement, d’où le nom ! 

 

Le bras de l’archet risque d’être tétanisé par les mouvements de tremblements répétés sur une durée…inhumaine.

 

Les compositeurs et les interprètes: une relation amour-haine 🎼💞

D’autres situations peuvent être extrêmes telles que le fait de devoir apprendre une pièce très rapidement, dans un temps record. Par exemple lors d’une création de pièce contemporaine, il n’est pas rare que le compositeur tarde à « rendre sa copie ». 

 

Ah, les compositeurs… !

 

Alors on doit apprendre en catastrophe une partition parfois à la limite du jouable la veille du jour J., le jour de la création.

 

La création (on dit die Premiere en allemand), c’est le concert où la pièce sera exécutée en public de manière officielle pour la première fois. 

 

Grosse responsabilité, où on dépasse ses limites et on sacrifie des heures de sommeil et les fameux temps de pause dont le corps aurait besoin… État d’urgence ! 😱

Beethoven, Rachmaninov et les autres …

Il faut dire que les compositeurs ont parfois eu peu d’égard par rapport aux interprètes et à leurs limites techniques et donc… physiques. 

Je pense à Beethoven qui disait au violoniste Schuppanzigh qui se plaignait de la difficulté d’un quatuor : 

« Croyez vous que je pense à vos misérables cordes, quand l’Esprit me parle? »

Au XIXe siècle, avec le développement de la virtuosité instrumentale autour de Liszt au piano et Paganini au violon, même combat.

Le virtuose est presqu’un héros qui doit vaincre et laisser quelques gouttes de sang sur scène. 

 

Je ne résiste pas à partager ici avec vous le fameux sketch sur le pianiste-compositeur russe Rachmaninov (1873-1943) intitulé « Rachmaninov had big hands »

En vrai, l’écriture de Rachmaninov peut être une torture pour des pianistes n’ayant pas des mains de géants…

Et puis au XXe siècle, la virtuosité passe justement par une exploration voire une explosion de plusieurs paramètres. Le corps de l’instrumentiste est vraiment mis à contribution de manière parfois radicale. 

Bon, assez pour cette fois !  Je poursuivrai (peut-être) un peu d’histoire de la musique une prochaine fois. 🤓

 

Revenons à … 🐑🐑🐑

notre corps de musicien !

Vous vous souvenez de ma question à 1000 euros de la semaine dernière ?

>> D’où part le pouce ?

Et bien, oui. Raphael Maillet, c’est là où je voulais en venir !

Il est important de comprendre que la base du pouce n’est pas là où le doigt semble rejoindre la paume de la main mais bien qu’il va jusqu’à la jonction du poignet et donc qu’on peut dénombrer trois os. 

Il est vrai que selon les ouvrages, on trouve différentes formulations quant aux phalanges. Je vous mets ci-dessous un schéma que je trouve très parlant quant à la  mobilisation du pouce.

Ce schéma est d’ailleurs extrait d’un livre remarquable intitulé « What every pianist needs to know about the body » de Thomas Mark. GIA Publications, p.95

Du Pouce de César … au body-mapping

Alors, oui. Le pouce est essentiel dans notre capacité de préhension, c’est-à-dire notre capacité à saisir des objets …comme un stylo, ✍️une banane ou un archet par exemple.

 

C’est d’ailleurs une de nos spécialités communes, nous et les primates ! 🙈

 

Alors, vous me direz : quel est le rapport avec le pouce de César ?

 

Tout d’abord, laissez moi préciser que je ne vous parle pas du pouce de César, l’empereur. Le pouce qui se lève vers le haut 👍ou vers le bas pour décider du sort des gladiateurs dans l’arène : non, Facebook n’a rien inventé avec le Like !

Mais je vous parle du pouce du sculpteur marseillais César Baldaccini, dit César.  

 

Imaginez vous que j’ai vu cette sculpture imposante, toute mon enfance sur le rond-point de Bonneveine à Marseille. Et donc, depuis petite, mon  « imaginaire » du pouce, est faussé ! Puisqu’on a l’impression que le pouce part de la phalange Nr.2. 

 

Je n’irais pas jusqu’à dire que César a une responsabilité dans le fait que longtemps j’ai porté en moi une conception fausse de l’anatomie du pouce…

quoique 🤔

Et là, vous vous dites, comme les deux vieux du Muppet Show:

«The question is : who cares ? »

 

(version longue : https://www.youtube.com/watch?v=Dfmur6IkM7U)

 

Et bien, le pouce a un impact énorme sur la tenue d’un archet par exemple, pour le jeu d’un pianiste, sur la manière de taper au clavier (de piano ou d’ordinateur d’ailleurs !!).

 

Le fait d’imaginer que l’on tient un objet à partir du poignet ou seulement de la 2e phalange peut être une source de tension musculaire extrême.

🗺🌎

De plus cet exemple, je le prends pour aborder ici un concept que je trouve fascinant : le « body-mapping ». 

 

Le body-mapping, c’est le fait de définir une cartographie intérieure de notre corps et ce, à travers notre perception propre, nos sensations et un imaginaire intériorisé, parfois conscientisé ou non. 

 

En français, on utilise aussi souvent des mots tels que proprioception et kinesthésie.

 

Bon…gardons body-mapping pour l’instant !

 

On pourrait dire qu’il sous-tend toutes les méthodes qui permettent de développer une meilleure conscience corporelle, méthodes que j’ai citées dans mon article précédent, que ce soit le yoga, la technique Alexander ou l’Antigym. 

 

Je vous en dis plus la semaine prochaine ! 

🎬

D’ici là, belle méditation sur le pouce ( geeks inclus ) et portez-vous bien 👍

 

Partagez et diffusez cet article s’il vous a plu et surtout venez discuter avec moi dans les commentaires ! 

#4 – La santé du musicien

#4 - La santé du musicien

Cette semaine, j’ai décidé d’ouvrir une sacrée boîte de Pandore. J’aimerais vous parler de la santé du musicien. 

Vaste sujet, légèrement anxiogène…😱mais pas que ! 😅

Alors, oui. On aime à dire que la musique adoucit les mœurs… mais pas forcément le corps des musiciens !

Vous me direz, la musique est rarement considérée comme une activité physique.

Et pourtant …

Le corps d’un musicien est extrêmement sollicité. Et de manière parfois assez …étrange. 

Et ce, dès le plus jeune âge. Je vous parle en connaissance de cause, j’ai commencé à jouer du violon un peu avant d’avoir 3 ans. 👧🏼

En fait, on pourrait même affirmer que le premier instrument avec et sur lequel on travaille est notre corps.

Alors, sans agiter tout de suite le spectre des cas extrêmes, de ce que la médecine appelle les troubles fonctionnels, j’aimerais partager avec vous les challenges auxquels les musiciens font face par rapport à leur corps et les leçons infinies qu’on peut en tirer – musicien ou pas…

 

Il faut dire aussi que cette thématique me tient à cœur.

Je l’ai rencontrée assez tard dans mes études et en début de carrière, avec des phases douloureuses lors de préparation de concours notamment, où je travaillais bien trop d’heures sans pause, et puis de manière récurrente en tant que professeur.

Pour approfondir le sujet, j’ai d’ailleurs suivi une formation lors de mes années berlinoises à la UdK, la grande université de musique et des arts située à Berlin-Ouest.

La formation était intitulée Musikphysiologie. Un mot un peu barbare qui permet simplement de rassembler toutes les manières d’étudier et de traiter l’économie des rapports entre corps et musique.

Cette formation était constituée de modules sur différentes thématiques allant du cours d’anatomie à des ateliers de QiGong. Passionnant et très instructif. 🤓

Le « corps en musique » … ce sujet essentiel dont on ne parle que trop rarement 📢

 Un peu comme la semaine dernière avec le « trac », le thème du corps des musiciens semble cristalliser des sentiments complexes et pas vraiment agréables tels que la culpabilité, la honte. 😳

Souvent en tant qu’étudiant et même professionnel, un certain tabou règne autour du thème qu’il serait pourtant tellement important d’aborder dès l’apprentissage.

Dommage que souvent il faille attendre que s’installent tendinites ou douleurs chroniques pour qu’on s’y intéresse et qu’on ose en parler.

Et souvent on se dit que si on a « mal », c’est qu’ « on l’a bien mérité ». Ah, le masochisme du musicien ! 😱 Et on a peur d’être « mal vu » ou en tout cas, on essaie de le cacher.

 

Alors, plutôt que de se replier dans cette attitude peu aidante, il me semble qu’une révolution des mentalités doit avoir lieu ou… se poursuivre !

Soyons optimistes !

En effet, de plus en plus de professeurs de musique sont sensibilisés à la thématique. On trouve de merveilleux « kinés » de musiciens. Et même certains orchestres comme la Deustche Kammerphilharmonie de Bremen avec laquelle j’ai eu la chance de collaborer en font une priorité collective.

 

Sans tout de suite médicaliser le musicien, on peut reconnaître assez objectivement (des études scientifiques ont été menées sur le sujet !) que les musiciens sont par leur pratique une population à risque.

Donc on a besoin de prises de conscience à titre individuel et collectif et d’un grand engagement pédagogique sur la question.

Bon, promis, je vous parle aussi de « bonnes nouvelles » un peu plus tard.

Le musicien, ce « sportif de haut-niveau » qui ne dit pas son nom 🏅🏋⚽️

Par bien des aspects, la pratique musicale relève d’une discipline sportive. Discipline à tous les sens du terme.

Car souvent, il est important d’installer une vraie hygiène dans la pratique de son instrument.

 

Allant de l’échauffement, à la manière de travailler, à des mouvements d’étirement en fin de session de travail sans parler de l’aspect de préparation mentale et physique que nécessite un concert.

 

Finalement on peut se demander pourquoi les musiciens ne disposent pas systématiquement de préparateurs physiques.

Heureux les footballeurs qui ont des kinés attitrés et qui se font masser le lendemain des jours de compétition dans des séances de récupération et de « décrassage » !

Je ne cesserai de le dire : nous avons beaucoup à apprendre des footballeurs…en général ! 😉

Quel est le point commun entre un violoniste et un coiffeur ? 💇🏻🎻🦄

Non, ne me dites pas les crins de la mèche de l’archet ni la queue de cheval !

Enfin, cela ne serait pas faux … les crins sont bien issus de queues de cheval – mais au sens propre ! 🐴

Gestes répétitifs et posture

Aussi bien le violoniste que le coiffeur exécutent des gestes répétitifs qui ont malheureusement en commun d’être asymétriques. 

La station debout et les gestes de coupe répétitifs, asymétriques et effectués à bout de bras du coiffeur sont à l’origine de problèmes articulatoires (tendinites) aux épaules et/ou aux coudes. Donc, violoniste et coiffeur, même combat !

Cela dit, les autres instrumentistes ne sont pas en reste. Le pianiste a un sacré challenge avec la position assise, de même le musicien d’orchestre qui ne dispose pas toujours de chaise ergonomique
Enfin… les geeks aussi connaissent la thématique ! Entre chaise d’ordinateur et syndrome du canal carpien avec la souris 🖱😱

Souvent si la posture à l’instrument n’est pas étudiée et corrigée avec minutie, des déséquilibres articulaires et musculaires s’installent et paradoxalement se compensent. Ce qui pourrait sembler être une bonne chose, dans un premier temps.

 

Le corps est intelligent, il veut fonctionner malgré tout.

Et c’est ce qui se passe souvent avec des enfants très doués.

Mais parfois ce sont justement ces phénomènes de compensations subtiles qui font parfois passer à côté de défauts de posture toxiques à moyen ou long terme et qui font qu’un jour le système craque soudainement.

 

Beaucoup de musiciens ont un « tennis ou golf elbow » chronique, ce coude qui est tout le temps utilisé en flexion comme chez les tennismen ou les golfeurs. 🏓🏌

Des articulations sous-utilisées et d’autres, non prévues pour certains gestes, sur-utilisés… des bombes à retardement 💣

Des arts-martiaux… au mille-pattes   🐼🐛

Jouer d’un instrument demande des compétences qu’on retrouve dans les arts martiaux. Coordination et vitesse d’exécution ou bien la synchronisation de mouvements d’une complexité parfois inouie.

Dont il vaut parfois mieux ne pas (totalement) avoir conscience ! Car après on ne peut plus avancer.

Parfois on réussit un geste de manière si organique qu’à trop vouloir l’analyser on n’y arrive plus.

Le pianiste Daniel Barenboim décrit ce phénomène de prise de conscience quasi handicapante qui se produisit pour lui au passage d’enfant prodige à l’âge adulte en utilisant une métaphore assez amusante et très parlante.

Celle du mille-pattes qui subitement se demanderait comment finalement bouge sa dernière patte.

Fatal…

Bon, vous l’aurez compris, la santé du musicien est un vaste sujet. Il me reste plein d’aspects à explorer et à partager avec vous.

 

Avant de vous retrouver la semaine prochaine, j’aimerais ajouter une note positive.

Il existe en effet plein de techniques de prévention car le but, c’est quand même de faire :

une musica sana … in corpore sano !

Pour cela il existe une multitude de méthodes passionnantes qui peuvent contribuer à entretenir ou à développer sa conscience corporelle. J’aimerais citer dans le désordre des méthodes telles que le Tai-Chi, Pilates, Yoga, Feldenkrais, la technique Alexander et – ma dernière découverte -, l’Antigym !

J’ai hâte de vous en parler !

 

D’ici là, avant de partir, je vous pose une question à 1000 euros pour les nerds d’anatomie et autre musicien :

Savez vous d’où part votre pouce ?

Je vous assure que la réponse est hyper importante que ce soit pour les pianistes, les violonistes ou autres ‼️

🎬

#unevieenviolon #alifewithaviolin

Si cet article vous a plu, vous pouvez le diffuser et me suivre aussi sur ma page Facebook

Je vous invite à discuter ensemble dans les commentaires car je me réjouis de vous lire et d’échanger par écrit ici !

La suite la semaine prochaine 🤓

#3 La gestion du trac

#3 - Quatre stratégies puissantes pour combattre le trac
ou l'histoire du taureau, du panda et du singe 🐮🐼🐵

Aujourd’hui j’aimerais vous parler d’un gros mot, enfin, d’un mot un peu « tabou » : le trac ! Grrrr…

Longtemps j’ai balayé ce sujet d’un revers de la main. On me posait souvent la question de savoir si j’avais le trac et je répondais aussitôt :

« Moi, non, je ne suis pas traqueuse ! »

Un peu comme si le fait d’en parler réveillerait les mauvais esprits. 

 

De manière quasi superstitieuse, je contournais la thématique.

 

Et puis, au cours de ces dernières années au fil de mon expérience en tant que concertiste et aussi en tant que professeur, j’ai rencontré maintes fois cette question et j’aimerais partager avec vous ce que j’ai appris.

Qu'est-ce que le trac ?😱

Tout d’abord entendons-nous sur la définition.

 

Le trac, c’est un drôle de mot qui semble porter une connotation bien négative et qu’on associe souvent avec l’autre gros mot qu’est le « stress ».

 

Vous connaissez sans doute tous cette sensation d’inconfort avant une prise de parole en public.

 

En allemand on distingue deux expressions qui recouvrent deux réalités différentes : « Lampenfieber » (littéralement la fièvre sous les lumières de la rampe) et « Aufführungsangst » (la peur de la performance). La première expression a une connotation bien plus positive que la deuxième. C’est qu’il est judicieux de faire la différence entre un trac « porteur » et un trac « inhibiteur », on pourrait dire un stress positif et un stress négatif. J’y reviendrai un peu plus tard.

 

En tout cas, l’expérience de la scène semble être associée aux réactions de stress, qu’elles soient physiologiques ou mentales : accélération du rythme cardiaque, tremblements et moiteur des mains pour certains, pensées d’anticipation négatives pour d’autres…

 

« Trac » viendrait de la réaction d’un animal traqué. Alors, instinct de survie avant tout (vous vous souvenez, je vous en parlais dans mon précédent article sur les festivals de musique de chambre). On dénombre comme pour le stress trois réactions : fuite, paralysie, combativité.

 

Bon, j’ai tendance à exclure la fuite de mon répertoire des réactions acceptables. Pour autant, on a déjà vu des annulations de dernière minute pour cause de trac insoutenable.

 

Il peut sembler étrange de parler de survie, de lutte ou de fuite, alors qu’a priori, au moins à l’âge adulte (!), personne ne nous force à monter sur scène. Et en plus, il faut bien le dire, beaucoup d’artistes avoueront qu’ils aiment ça, être sur scène.

 

Alors, masochisme ? Pourquoi pas. Mais en fait, il me semble que ces deux réalités ne sont pas incompatibles. On peut adorer se produire et redouter la scène en même temps.

 

Il faut d’ailleurs parfois se « sur-monter » pour monter sur scène.

 

Je me souviens d’un épisode étrange la veille de mon concours d’entrée au CNSM de Paris, j’avais 16 ans. Apparemment j’avais dit toute la nuit dans un demi-sommeil, (ma mère et ma soeur confirmeront) : « Je n’ai pas envie de jouer mais j’ai envie de bien jouer! »

 

Bref ! Chacun a son cocktail personnel de peur et d’excitation, d’envie d’y aller tout en gardant un œil sur la porte de sortie pour pouvoir s’échapper au plus vite, juste au cas où.

 

Et puis, la relation à la scène peut être évolutive. Cela change selon les périodes.

 

Beaucoup de mes collègues se souviennent d’une période d’innocence avant des phases plus compliquées à l’adolescence, au conservatoire ou lors des concours internationaux.

 

Ah, elle est loin, l’innocence de la petite enfance, où j’avais juste très envie de jouer. Peur de rien. En toute simplicité 

La scène, lieu de tous les dangers... ou presque 👻

De la fausse note au trou de mémoire, de la peur du ridicule à la peur du jugement des autres (et de soi !), monter sur scène, vous l’aurez compris, peut faire peur.

 

Faut-il rappeler qu’en anglais, on dit « stage fright » ? la peur de la scène…

 

Même si on ne la ressent pas toujours consciemment, cette peur, on sait que tout peut se produire, comme si d’autres lois régissaient cet espace : peur de l’inconnu avant tout.

 

On est rarement complètement en « sécurité » (métaphorique, j’entends) ; un peu comme si un tigre était présent sur scène avec nous, dans une cage – peut-être pas si fermée que cela. Peut-être qu’il dort ou qu’il est calme, mais personne n’est à l’abri ! 🐯

 

Prenons un peu de recul : est-ce que ces dangers sont réels ou imaginaires ? La dimension irrationnelle attachée à la scène fait que le niveau de stress vécu par les musiciens peut sembler disproportionné. En effet, quels sont les risques du métier? Un chirurgien a une vie entre ses mains, un torero peut y rester… Mais à ma connaissance, un musicien n’a jamais tué personne avec une fausse note…!

 

quoique ?

 

Dans l’anticipation, certains passent par toutes les couleurs. Envie de vomir, insomnies avant l’entrée en scène, malaises, et même pendant !

 

On se souvient de quelques sorties de scène mémorables de grands artistes, non satisfaits de leurs performances. Le fantastique pianiste polonais Piotr Anderszewski était sorti de scène lors du Concours de Leeds en 1990. Le phénoménal violoniste russe Philip Hirschhorn aussi était célèbre pour ses sorties de scène rageuses.

 

C’est qu’il est parfois dur de concilier l’expérience du « live » avec les injonctions de perfection auxquelles notre époque abreuvée de disques est habituée.

 

Vous vous souvenez de la phrase de Heifetz dont je vous parlais dans un de mes articles précédents.

 

« Pour jouer du violon, il vous faut les nerfs d’un torero, la vitalité d’une hôtesse de boîte de nuit et la concentration d’un moine bouddhiste ».

 

Il faut savoir prendre le taureau par les cornes, ou le contourner selon les contextes.

 

En tout cas, le regarder droit dans les yeux.

 

C’est parti ! Olé ! 💃🐮

Les stratégies 🤓

J’aime à penser que la scène est comme un animal qui se dompte et que gérer son trac ou plutôt s’approprier son expérience sur scène est un art à développer et surtout à pratiquer.

 

La situation de scène s’étudie, s’essaie, s’expérimente. Et à chaque fois, on en ressort peut-être un peu meurtri mais sûrement grandi.

 

⚠️Un bémol toutefois ! Souvent ces apprentissages sont des constructions éphémères. Quand on se dit qu’on a trouvé la recette magique, on peut être quasi sûr que la fois suivante, cela ne fonctionnera pas. Car… il n’y a pas de recette magique – comme dans Kungfu Panda🐼

 

Les facteurs qui constituent l’expérience sont trop changeants. Comment on a dormi la veille, comment on se sent le jour J, avec qui on joue, ce qu’on joue etc…

 

Pour autant, on peut observer des principes. Les neurosciences se sont d’ailleurs penchées sur la question.

 

Et voici quelques stratégies ou modes de pensées qui me semblent intéressant de noter.

1. NE PAS COMBATTRE🏹

Pour combattre le trac, tout d’abord il faut ne pas vouloir le combattre ! Cela peut vous sembler un avatar de technique non-violente peu à-propos. Pourtant c’est le point de départ.
En somme, il ne faut pas essayer de l’éviter. Je dirais même, il faut s’y attendre ! Ce « tour à 180° » comme on dit en coaching peut vous sembler très contre-intuitif.

Combien d’élèves viennent me voir en me demandant comment faire pour être « relax », « détendus ». Pas moyen ! J’aime les choquer en poussant le vice un plus loin, en leur disant : « il faut vouloir avoir le trac ! »

Si, si !

En effet, c’est là que se niche une source insensée d’énergie et d’inspiration. D’un point de vue physiologique, c’est de là que va provenir la sécrétion d’adrénaline qui va nous rendre hyper-performant et qui va nous donner un sixième sens. On entend mieux, on voit mieux, notre perception est au top – « à l’affût » comme le montrent plusieurs études (neurosciences et musique : je vous en parle bientôt !).

Évidemment, trop d’adrénaline peut aussi nous faire franchir le seuil, la « zone » et là, l’effet devient inhibiteur. Le tout est d’arriver à favoriser les conditions afin que ce « stress » ne soit pas inhibiteur mais au contraire stimulant, favorable à l’expression de notre potentiel maximal.

Équilibre complexe, certes.

Et beaucoup de mes collègues seront d’accord avec moi. Le pire, n’est-il pas de ne pas « avoir peur » avant d’entrer sur scène ?

Car la prise de conscience du « danger » peut se produire d’un coup, sur scène. Comme un pilote de formule 1 qui réaliserait en plein virage qu’il est en train de rouler à 300 km/h. Et là, compliqué de bien réagir… 🏁

Alors, parole de torero : il vaut mieux regarder le taureau droit dans les yeux avant d’attaquer !

2. ACTIVER UNE SPIRALE VERTUEUSE 🌀

Au cours de ma formation, j’ai développé une méthodologie qui m’a beaucoup aidée et qui distingue trois niveaux : le mental, l’émotionnel et le corporel.


Cela est valable pour prendre la parole devant un public aussi !

L’idée est que ces trois niveaux sont interconnectés et qu’un lien dynamique les relie. ♻︎

Mes pensées ont un lien avec les émotions et mes émotions vont se traduire physiquement. Ainsi s’installe un cercle soit vicieux, soit vertueux.

Si mes pensées sont négatives, je vais me sentir triste, désespérée ou autre et mon corps va se contracter.

Si je me sens nerveuse, mes pensées négatives vont s’emballer et idem, mon corps se tend trop.

A l’inverse, si je ressens la joie d’aller sur scène, mes pensées d’anticipation vont être positives, mon corps s’ouvre, je respire ou si j’ai bien dormi, je me sens bien dans mon corps, je me sens en pleine puissance de mes moyens (pensées positives) etc… Vous avez compris le principe, n’est-ce pas ?

Le but est d’arriver à trouver un point d’entrée, un levier pour renforcer ou inverser la tendance.

 

Ainsi je vais essayer de taper à la porte de chacune des dimensions évoquées et de manière très pragmatique, voir ce dont j’ai besoin aujourd’hui et maintenant (vous vous souvenez : pas de recette magique !).

Je vais donc choisir un focus sur lequel porter mon attention.

Par exemple, un focus corporel très important peut être la respiration ou bien, sentir le contact de mes pieds sur le sol. Ce qui va me donner une sensation d’ancrage et donc de sécurité, etc…

Cela peut être aussi plus « technique » : ressentir le pouce de ma main droite (toujours une bonne idée !).

Un focus mental peut être de convoquer des pensées porteuses : se remémorer des expériences positives, me laisser guider par une idée-force ou me rattacher à un mot-clé ou concept (projeter le son jusqu’au dernier rang).

Un focus émotionnel peut être de me connecter à la joie contenue dans telle pièce de musique ou à l’amour que je porte à cette pièce depuis petite.

 

Bon, je vous laisse expérimenter avec cela ! Le but étant de se créer sa boîte à outils personnelle de “trucs” qui fonctionnent bien. 

3. DOMPTER SON SINGE INTÉRIEUR

A bas, le perfectionnisme !  ⚠︎

L’ennemi numéro 1 selon moi, c’est le perfectionnisme.

Et j’en parle en connaissance de cause. Je dois sans cesse le déconstruire. En effet, dur de s’en séparer quand toute ma formation a été accès sur une exigence impitoyable.

Alors, viser la perfection dans la préparation, oui. Et au moment de jouer, basta : on oublie tout !

 

80% au lieu de 100% et autres astuces

Une technique mentale qui m’a beaucoup aidée est le « 80 % au lieu de 100%», autrement dit aller sur scène en s’accordant de ne viser « seulement» un résultat à 80%. Cela soulage incroyablement puisque l’enjeu n’est plus un sans-faute (concept bien relatif!). Et parfois, sur un malentendu…on peut produire un 90 ou un 95% !

J’aime aussi beaucoup l’idée que partageait Jean-Jacques Kantorow lors d’une master-classe à l’Académie Ravel. Il nous faisait remarquer que souvent, après la première erreur sur scène, on se libérait. En effet, le fantasme du 100% se dissipait et on était enfin présents.

Donc, viser de faire bien, mais pas parfait – « Good enough is good ! ».

Parfois quand mon mental résiste et que rien ne semble marcher, j’emploie la massue . 

Et là, c’est la formule magique (si,si ! Elle est magique celle-là. Je vous laisse l’essayer). C’est le « F***k it »

 https://www.thefuckitlife.com

 

Ce que je trouve vraiment porteur et qui a une portée plus philosophique, c’est une forme d’acceptation – au sens noble du terme. Finalement on monte sur scène, avec ses forces et ses faiblesses. Ne pas vouloir être quelqu’un d’autre que ce que l’on est et accepter de se montrer là où on en est.

Il y a une certaine beauté, une humilité radicale et un vrai lâcher prise dans cette attitude.

 

Dompter le singe intérieur ou la gestion du mental 

Il est amusant de constater que ce dont on a peur sur scène relève du « vide », du manque, de l’absence : le trou de mémoire, le « black-out ». Pourtant souvent, l’ennemi, c’est le trop-plein du mental.

Alors, on se dit que l’idéal avant un concert serait de « faire le vide ». Certains pratiquent la méditation de pleine conscience ou font des méditations zen.

J’aime à envisager la problématique différemment. Il est difficile de créer du vide a priori, ou de se demander d’enlever quelque chose.

Essayez un peu avec cet impératif : « Ne pense à rien ! » …

Ce qui me paraît plus efficace parfois je trouve, c’est alors d’occuper mon mental et mon « singe intérieur » à de « bonnes choses ».

Les bouddhistes parlent de singe intérieur pour désigner un mental agité qui, tel un singe, se balade de branches en branches, les branches étant les pensées (par exemple les scénarios d’anticipations : « et si… ».)

Il est souvent difficile de calmer ce singe espiègle et hyper-actif avant un concert. Selon moi il ne s’agit pas de se forcer avec des pensées positives. Il me semble que mieux vaut détourner l’attention du singe et donc lui donner du « bon » grain à moudre. Par exemple faire quelques exercices techniques pour se chauffer, activer des pensées concrètes, physiques ou mentales.

Celles de ma boîte à outils, vous vous souvenez ?

Pour être dans le présent, rien de tel aussi que de retrouver ses sensations, revenir dans son corps par des exercices simples de respiration ou de QiGong.

Et puis, une autre chose qui vient nous occuper, moi et mon singe, c’est de consciencieusement me maquiller et mettre mes vêtements de scène. Ah, il ne faut pas sous-estimer la puissance des rituels ! En voici un qui permet de passer en « mode concert ». Je suis persuadée qu’une métamorphose a lieu dans ce moment qui peut parfois sembler futile.

4. PREPARE FOR THE WORST… AND HOPE FOR THE BEST

Practice, practice, practice

En amont, la règle, c’est : « Practice, practice, practice ». Pas au sens du nombre d’heures et de l’épuisement mais plutôt dans l’idée de se préparer au mieux, de peaufiner son artisanat un peu comme un maître sushi. Je vous avais déjà parlé de la force des « basiques », aiguiser ses couteaux !

Car on ne peut pas miser sur des miracles, même si parfois ils se produisent…

Rien de tel pour conjurer le trac que de se sentir vraiment bien préparé.

Ou l’inverse d’ailleurs. Rien de tel pour déclencher le trac que de savoir que l’on n’a pas de réserve, pas de soupape de sécurité. 

C’est donc la sensation d’avoir bien préparé qui donnera aussi de la sérénité, et qui paradoxalement, fera descendre la pression de la perfection

On a fait tout ce qu’on pouvait – ni plus, ni moins.

Au moment de rentrer sur scène, on oublie tout et on fait confiance.

Bon, il y aurait encore beaucoup de techniques de visualisation et de mental training à évoquer. Promis, pour un prochain post !

 

Dire « oui » à la scène
… ou l’art d’accueillir l’imprévu comme une bénédiction.

Parfois tout se passe comme prévu, comme souhaité. Cela peut donner une grande satisfaction du travail bien fait, de l’accomplissement. Mais cela ne donne aucune garantie que le concert ait été bon. En effet, on peut aussi être « passé à côté » émotionnellement.

Parfois la scène réserve de sacrées surprises. D’une corde qui vient à lâcher à une partition qui tombe en cours d’exécution. Cela m’est d’ailleurs arrivé à Leicester il y a deux semaines durant le Quatuor américain de Dvořák ! J’ai dû ramasser la partition de Kristin, l’autre violoniste, tout en reprenant ma partie au plus vite !

Il m’est même arrivé, dans un moment d’enthousiasme débordant, de jeter en l’air mon archet lors d’un concert au Japon. Il s’agissait du Quintette de Dvořák avec piano avec Boris Berezovsky, Dimitri Makhtin, Miguel Da Silva et Henri Demarquette.

Heureusement l’archet n’était pas cassé (miracle, merci la moquette !) et une personne du public m’a très poliment tendu mon archet pour que je puisse continuer comme si de rien n’était…ou presque. Je vous assure que l’énergie sur scène est montée d’un cran juste après !

Un cas typique d’adrénaline pur ! Impossible de se préparer pour ce genre de situations, il faut prendre des décisions en temps réel.

C’est qu’en fait, la scène est l’espace d’improvisation par essence. En tant que musicien classique, on peut être tenté de résister à l’idée. Mais c’est ainsi.

Il n’y a pas que les jazzmen qui sont amenés à gérer avec les moments d’imprévus. J’ai d’ailleurs beaucoup appris en m’aventurant dans des jam-sessions récemment.

Et c’est d’ailleurs dans des moments d’abandon et d’imprévu que se produisent les perles du « live ».

La force de l’intention

Pour finir, il me semble que ce qui l’emporte sur toutes ces techniques, c’est le simple fait de se remémorer pourquoi on va sur scène, ou plutôt pour quoi.

 

Dans les moments de doute, il est vrai qu’on peut oublier les raisons profondes qui font aller sur scène. On peut aussi ressentir une hostilité de la part de certains publics (hostilité réelle parfois ) dans des contextes de compétition ou projetée aussi, à cause de mauvais souvenirs ou de peurs externalisées.

 

Mais si on se souvient que l’intention d’aller sur scène provient d’un désir profond de diffuser de la musique que l’on aime intensément, au centre de la scène se retrouvent l’œuvre, l’onde sonore et le compositeur et c’est une logique de partage qui nous porte.

 

On peut alors être dans la générosité, dans l’engagement total, sans retenue.

 

Jouer avec ses tripes, « mouiller le maillot » comme on dit en foot.

 

Car, pour reprendre l’expression d’Edgar Morin, le but ultime, n’est-il pas de vivre une « expérience partagée » avec le public ?

Artistes Festival Musique de chambre

#2 Le festival de musique de chambre…

#2 - Le festival de musique de chambre ou l’histoire d’un ver dans l’oreille 🐛

Cette semaine, me voici tout juste rentrée du Leicester International Music Festival, avec des étoiles dans les yeux (un peu rougis de fatigue aussi), avec des souvenirs de moments forts de partage et d’amitié, et surtout avec plein de musique en tête.

Une musique qui continue à résonner dans mes oreilles, des thèmes qui circulent et deviennent obsédants (par exemple des petits motifs rythmiques du Quatuor américain de Dvorak!). Ne dit-on pas en allemand pour un thème qui reste coincé dans notre mémoire, « Ohrwurm », en traduction littérale cela donne « un ver dans l’oreille » ?

 

Bref, chargée de toutes ces impressions et souvenirs divers, j’aimerais me poser ici, vous raconter quelques moments forts du Leicester Festival 2018 et partager avec vous quelques réflexions plus générales sur les festivals de musique de chambre.

 

Car souvent lorsque l’on évoque les coulisses d’un festival, on pense à l’organisation – miraculeuse parfois, à la recherche de financements – ardue souvent, à la coordination d’un groupe de bénévoles – indispensable et merveilleuse force invisible ! Mais ce dont j’aimerais vous parler en particulier, c’est de l’expérience du festival depuis le point de vue du musicien. Expérience qui relève parfois d’un grand-huit – musical et émotionnel, de vraies montagnes russes.

Un « bain » de musique 🎼🎹🎻🚣

Les festivals de musique de chambre sont un cadre et un moment particulier dans le panorama des différents concerts de musique classique.

 

Ils représentent un certain type de festivités, un « bain » de musique souvent centré autour d’une thématique et réalisé par un groupe restreint de musiciens qui se retrouvent sur une période limitée et intensive pour préparer le répertoire programmé. Une situation de huis-clos festif.

 

Certains musiciens adorent cela et ne vivent que pour ces moments – ce sont des inconditionnels du genre ; d’autres les détestent littéralement et refusent de se plier aux règles d’un jeu bien spécifiques. Vous vous demandez peut-être dans quelle catégorie je me range ? Probablement, je fais partie d’une troisième sorte. J’adore les festivals de musique de chambre – mais sous certaines conditions.

 

En effet, il me semble que pour qu’un festival de musique de chambre soit réussi et satisfaisant, il est nécessaire que des paramètres précis soient réunis. Selon moi, tout dépend du « casting », de la programmation et des conditions de travail. Equation … à plusieurs inconnues et très subtile.

Immersion : entre zen et adrénaline

Ce que j’adore et qui me semble unique dans les festivals de musique de chambre, c’est l’aspect d’immersion. Il faut dire que souvent la quantité de répertoire à jouer est énorme, et les concerts s’enchaînent en peu de temps. Et de cette pression temporelle naît parfois la sensation de faire de la musique en temps réel.

 

L’immersion dans une thématique, le fait de brasser beaucoup de la musique d’un même compositeur ou d’un même genre donne l’impression de pratiquer un idiome bien particulier et de pouvoir à la fin du séjour parler cette « langue » couramment.

Et puis, on rencontre ou on retrouve des collègues musiciens avec lesquels on peut passer de longues heures à jouer, à discuter, à « essayer » – chose rare dans un planning annuel où chacun court après un avion ou un train différent.

 

Pendant le festival se crée une vraie bulle de travail, chacun allant de répétition en répétition. Souvent il se produit une vraie déconnexion d’avec la réalité bien agréable (on peut passer à côté de « news » importantes, oublier des questions d’intendance et surtout être déchargé de tâches quotidiennes).

 

Ceci se déroule dans un mélange étonnant d’intensité extrême et de concentration maximale. Intensité car il faut souvent se surpasser quitte à frôler la surchauffe. Concentration car tout nous ramène à l’instant présent. On pourrait même parler de qualité zen, on est dans l’hic et nunc, l’ici et le maintenant, uniquement occupé à faire ce que l’on fait. Le rêve, en fait…

 

Vous vous souvenez… être dans la musique, rien que dans la musique.

Challenges

Pourtant le chemin jusqu’à la scène est parfois semé d’embûches.

  • 1er challenge : maîtriser le répertoire

Il y a d’abord le challenge lié au répertoire qui peut se résumer dans une dialectique entre nouveau et ancien, autrement dit, entre pièces du grand répertoire, parfois « trop » jouées ou bien, pièces rarement jouées, au risque d’être « trop fraîches ».

Le nerf de la guerre, c’est bien sûr d’avoir suffisamment de temps pour dans le cas des pièces du grand répertoire, repenser ensemble une interprétation commune, se mettre d’accord sur les orientations stylistiques, les tempi, les « ambiances », le message…soit, dans le cas des pièces peu souvent jouées, de construire de toutes pièces une interprétation cohérente et aboutie.

Il est impossible de savoir à l’avance si cela va être une foi s comme les autres ou bien si la magie va opérer : le but étant que que la pièce semble jaillir comme neuve.

Personnellement j’aime beaucoup découvrir de nouvelles pièces. Cela nous fait ressentir la responsabilité de l’interprète comme médiateur entre le compositeur, la partition et le public. Et cela crée un vrai espace de liberté dans l’interprétation et dans la lecture du texte – un peu comme si on faisait une « création », une « première ».

J’aime aussi beaucoup les formations inhabituelles, quand les cordes se mêlent aux vents par exemple. Cela permet de sortir des habitudes de sa « corporation ». En tant que cordes, on « respire » plus et on s’inspire des sonorités.

  • 2e challenge : le casting ou l’art du team-building

A la différence des récitals ou concerts donnés par des groupes constitués (trios avec piano, quatuors à cordes, ensembles à géométrie variable), le festival mise sur la rencontre occasionnelle d’artistes venant parfois d’horizons très divers.

Un peu comme une équipe de foot formée le temps d’une sélection pour un match amical ! ⚽️

Les « all-star games » ne sont pas toujours une garantie artistique. 😉

Créer une unité en si peu de temps relève parfois du casse-tête chinois qui ferait pâlir n’importe quel chargé de ressources humaines !

Evidemment cet aspect est très stimulant car cela vient exclure toute forme de routine ou de confort qui peut se créer du fait de toujours jouer avec les mêmes personnes. On se découvre de nouvelles facettes et on développe une capacité d’adaptation.

Dans des cas difficiles, on peut parler de sens du compromis. Mais souvent, il s’agit plutôt de rencontre qui produit une vraie richesse dans les interprétations.

  • 3e challenge : Écoles et transculturalité
    melting-pot
    (🇫🇷/🇱🇷/🇬🇧/🇩🇪)

Ces rencontres musicales sont parfois l’expression de différences culturelles profondes. On est en plein dans la question de l’interculturalité ou de la transculturalité.

En effet, on entend souvent qu’il n’y a plus d’écoles nationales avec un monde globalisé, avec la diffusion de la musique sur le net (Youtube et autres).Et pourtant il est fascinant d’observer que dans ce type de contexte, ce sont juste ces spécificités qui ressortent. Sans céder à la tentation de réduire les différences à des clichés, on note des affinités particulières et des centres d’intérêt marqués.

Par exemple, en tant que musicien européen, il est très instructif de jouer avec des musiciens formés aux Etats-Unis. Il y a clairement des différences dans l’attention portée à la projection du son, à la quête d’une unité dans le groupe ou à la préservation d’une qualité de son constante quelle que soit le type d’expression musicale. On observe aussi des différences dans la relation aux styles, à la lecture du texte ou même dans la relation à la scène, « performer ».

Je pourrais d’ailleurs développer cette question sur ces différences entre francais et allemand ou anglais. Cela fera l’objet d’un post à part entière !

Cela se traduit aussi par des « standards » ou des attentes parfois divergentes sur la préparation et la conception du professionnalisme. Professionnalisme qui pour certains se traduit par apprendre vite sur place, pour d’autres par préparer en amont.

En résumé, chacun amène son package, son background. On pourrait dire qu’un groupe de musiciens en festival est finalement un melting-pot qui, quand la mayonnaise prend et que l’alchimie opère, produit des merveilles !

La communication (non) violente en répétition

Leicester Festival 2018 Répétition
Leicester Festival 2018

Du fait de ces différences culturelles et de ces rencontres ponctuelles, un des véritables enjeux de la formation d’un groupe qui fonctionne selon moi, va être la communication.

 

En effet, avec des partenaires habituels, souvent on finit par parler un même langage, on n’a plus besoin de prendre de détours pour faire une suggestion. On peut « y aller » sans avoir peur d’offenser.

 

Dans des situations parfois stressantes de répétitions en festival, quand on court après le temps et que l’on ne se connaît pas bien, il peut être difficile de « s’entendre ». Sans parler du fait que le huis clos propre au festival n’aide pas toujours à prendre la distance nécessaire. Une vraie expérience d’humilité et de développement personnel où on se dit que « l’enfer, c’est les autres »… ou le paradis : tout dépend !

To drink or not to drink …🍷

Heureusement pour dénouer les tensions passagères, il y a les repas partagés, les soirées où l’on passe plus de temps à échanger, à se confier, ou de manière plus légère à se raconter des potins. Une forme d’intimité qui permet de faire connaissance à travers la musique et en-dehors.

Mais attention, car là aussi, il faut bien gérer son énergie et quelque fois, il est dur de décider entre poursuivre une conversation passionnante ou aller recharger ses batteries pour la longue journée qui nous attend. Sans parler de la question cruciale qui se pose parfois : to drink or not to drink !

Soirée Festival

Un pour tous, tous pour un… ou l’instinct de survie sur scène

Car même si les moments en amont sont essentiels à la qualité de l’expérience du festival, il y a une capacité à se fédérer qui survient au moment de la scène. On pourrait parfois parler d’un quasi instinct de survie sur scène, où une sorte de trêve se produit. Chacun dépasse des questions d’ego, peu importe les désaccords sur tels tempi ou directions à donner à tel phrasé; au moment T, chacun est connecté avec une sorte de sixième sens pour que cela fonctionne pour cet instant.

 

Il faut dire que l’influence du directeur artistique est grande sur l’esprit donné au groupe. Beaucoup de choses se jouent déjà dans le casting et dans la confiance que le dénominateur commun entre les musiciens sera l’amour profond de la musique et des choses bien faites. Partage de valeurs entre artisanat, curiosité et esprit d’ouverture.

Leicester 2018 : « vachement bien ! »

Cette année à Leicester, le groupe de musiciens était différent des trois années précédentes car plusieurs collègues britanniques, habitués du festival, ne pouvaient malheureusement pas être présents.

La rencontre avec les musiciens américains invités aura été très stimulante. J’ai d’ailleurs appris plein de choses auprès d’eux cette semaine, que ce soit des détails techniques ou des manières d’aborder les répétitions. Il n’y a pas de fin au développement de l’artisanat qu’est la technique instrumentale !

 

Et c’était un immense plaisir que de retrouver des partenaires habituels, comme Nicholas Daniel, oboiste anglais dont l’émotionnalité et la sonorité sont incomparables ou Katya Apekisheva, merveilleuse pianiste d’origine russe avec laquelle j’ai joué la 2e Rhapsodie de Bartok, une pièce chère à mon cœur car je l’ai étudiée sous la direction du compositeur hongrois Gyorgy Kurtag lors de mes études au CNSM de Paris.

Leicester Festival 2018 Répétition

Un autre moment mémorable a été de jouer une pièce de Martinu avec thérémine. Si,si ! Vous savez, cet instrument électronique inventé en 1919. Le thérémine est ce qui se rapproche le plus d’un tour de magie puisque le son est produit sans que l’instrument ne soit touché, un « sans contact » insensé à observer car l’instrumentiste fait des gestes fascinants.

Regardez plutôt ca :

👉 https://www.youtube.com/watch?v=w5qf9O6c20o

C’était également passionnant de travailler avec la compositrice américaine Thea Musgrave qui depuis ses 90 ans dégageait une vitalité impressionnante et arrivait à insuffler vie à chacune de ses œuvres lors des répétitions. Elle nous a expliqué, épaulée par son mari, le contexte, « l’histoire » derrière chaque séquence musicale. Thea a d’ailleurs étudié à Paris auprès de Nadia Boulanger. Ce qui explique que lorsque notre manière d’interpréter lui plaisait, elle me disait :

« Voilà, c’est vachement bien ! » 🙂

Leicester Festival 2018 Thea Musgrave

Le blues post-festival : … en route vers la suite !

Alors oui, le festival de musique de chambre, c’est le summum de l’art de l’éphémère.

Une fois la semaine terminée, chacun repart dans ses pénates ou vers son prochain engagement. La bulle éclate et c’est souvent un retour à la réalité qui frôle avec une sensation de blues que mes collègues et moi connaissons bien.

Alors, rien de tel que d’enchaîner immédiatement après.

 

Et cette semaine, c’est un programme de récital qui m’attend avec un « vieux compère », le pianiste Aurélien Pontier. Nous jouerons Schumann, Brahms, Mendelssohn à Düsseldorf au Palais Wittgenstein sur l’invitation du Heinrich-Heine Institut.

Il s’agira là d’un autre exercice de style.

 

Je vous en parlerai bientôt !

🎬

#unevieenviolon #alifewithaviolin

Si cet article vous a plu, vous pouvez le diffuser et me suivre aussi sur ma page Facebook. Et avant toute chose, je vous invite à venir discuter avec moi en commentaires !

Raphale muses

#1 La préparation d’un concert

#1 - La préparation d’un concert🎶

Après l’article précédent où je vous parlais de mon actualité, j’ai envie cette semaine de vous parler de ce que préparer une série de concerts signifie – dans la réalité. 

 

Bien sûr, la préparation d’un concert est un vaste sujet en soi : de la logistique des voyages à la construction d’une interprétation, des répétitions aux challenges de la scène … Bref ! Une foule de sujets que j’aborderai sans doute dans des posts ultérieurs. 

 

Ce sur quoi je préfère me concentrer aujourd’hui, c’est de cette chaîne d’actions que l’on ne perçoit pas toujours de l’extérieur et que moi-même j’ai tendance (envie !) à vouloir oublier. 

 

Au moment de reprendre la route après ma pause estivale, le violon en bandoulière, ce qui me frappe, c’est l’ensemble de ces actions connexes en amont de l’entrée en scène. Et parfois cela relève de la course d’obstacles.

 

…à temps ⏱

 

Vu de l’extérieur, on peut penser que le musicien ne se prépare que pour jouer son programme musical sur scène le jour J. 

 

Il est vrai qu’on associe souvent une vision romantique à la vie de musicien, un artiste bohème qui en somme attendrait semi-passivement d’être visité par les Muses, par l’inspiration au moment du concert. En effet, il y a quelque chose de cet ordre : comme si chaque moment de concert, incarnation de l’éphémère, était l’aboutissement momentané de toute la ligne de vie de l’artiste; tout ce qui précède mène à ce moment. 

Raphale muses

Mais derrière cet instant sacré se cache une infinité de préparations multiples : de la logistique la plus basique à l’organisation du travail artistique. 

 

En fait, il est plutôt question d’intendance, souvent, de rituels, parfois; en somme, d’un multi-tasking vertigineux. 

 

Le point commun qui me semble regrouper tous ces aspects, qui m’occupent voire me préoccupent, c’est la gestion du temps. 

 

Cela peut sembler ironique car ne dit-on pas que la musique est l’art du temps ? Et bien, une vie de musicien est une tentative permanente de trouver un équilibre, à la recherche d’un…rythme perdu pour arriver « à temps ». 

 

Rythme de vie, rythme de travail. Un rythme suffisamment ferme pour générer une musique harmonieuse et suffisamment souple pour pouvoir respirer. Alors, oui, chaque musicien se doit d’être un maître des horloges, à sa façon … 😉

De la logistique au travail musical...

Bienvenue à l’agence de voyages Marina 🌴✈️🚅🚗🗻

Il y a d’abord l’organisation des agendas et des déplacements. 

 

Beaucoup de mes collègues musiciens seraient d’accord avec moi. Après quelques années à tourner, on en vient à développer des compétences dignes des meilleures agences de voyage ! 

 

Trouver le billet le moins cher en un temps record qui vous permettra d’arriver à temps, en évitant les correspondances et attentes inutiles dans les aéroports et bien sûr, sans oublier de prendre en compte dans la réservation l’instrument que l’on doit prendre en cabine. En espérant que tout soit à l’heure et avec le bagage à l’arrivée. 

 

Les anecdotes liées à des péripéties sur ce sujet pourraient faire l’objet d’un post à part entière, et pourtant je ne suis ni guitariste ni violoncelliste…

 

Et je ne développerai pas aujourd’hui sur l’obtention des visas, renouvellement de passeport et autres réjouissances administratives liées aux voyages.

A la recherche de l’atelier idéal …

La gestion du temps se décline parfois aussi dans des aspects très terre-à-terre comme l’organisation du planning de répétitions avec différents collègues sur différents programmes dans différents lieux. Casse-tête chinois qui se complique quand il faut en plus trouver des lieux avec piano dans lesquels répéter. 

 

Mes amis parisiens en savent quelque chose : c’est ma nouvelle obsession !

 

Je suis constamment à la recherche de ce lieu idéal, si possible avec piano, dans lequel pouvoir travailler nuit et jour au calme. Idéalement hors de chez moi mais pas trop loin. Un atelier… pour justement arriver à créer des moments de concentration « hors du temps » !

De la valise au violon ou l’art des rituels 👝

La logistique, c’est aussi la valise. Les « fringues » de concert amenées au pressing, prêtes et lavées à temps. 👗👠 La pile de partitions si possible à portée de main, au cas où la valise serait perdue.

 

A chaque valise que l’on fait, on réinvente un peu sa vie. C’est un mélange entre une routine machinale voire un moment qui peut se transformer en phobie (personnellement, je déteste faire ma valise) mais aussi, un moment d’excitation car chaque nouveau déplacement, chaque nouveau festival est un chapitre vierge à écrire (et j’aime bien démarrer une nouvelle page). 

 

Autre passage obligatoire avant une série de concerts : je fais un saut rue de Rome, la fameuse rue des luthiers. Je passe à l’atelier Vatelot-Rampal pour mon violon puis à l’atelier d’Arthur pour mon archet. 

 

Chez Alex et Arthur, je laisse mon archet un ou deux jours pour qu’on lui refasse la mèche : cela veut dire poser une nouvelle mèche de crins sur la baguette. Vous savez, ces crins de chevaux (si, si..!) sur lesquels on met la colophane (la résine comme les danseuses au bout de leurs pointes) et avec lesquels on frotte littéralement les cordes pour produire le son. Au bout d’un moment, les crins s’usent ou sont trop chargés de colophane. Pour avoir une résonance optimale, rien de tel qu’une mèche neuve. 

Mèche Archet Violon

A l’atelier Vatelot-Rampal, c’est Adélaïde qui s’occupe de mon violon. Elle change mes cordes (Non, je n’aime pas le faire. Depuis que je suis petite… assez honteux j’avoue). Adé vérifie que mon violon ne s’est pas décollé. Les violons italiens sont capricieux parfois et avec le temps (le mien n’est pas tout jeune…), ils ont souvent des zones de fragilité. 

 

On dit bien qu’un bon artisan se reconnait à l’état de ses outils. Et on peut ajouter qu’il y a quelque chose de rassurant à se dire que l’on met toutes les chances de son côté. Parmi tous les paramètres que l’on ne pourra pas contrôler, voilà une petite contribution. 

 

Et puis, pour moi, les luthiers et archetiers sont des amis, un peu substituts de psy parfois, qui écoutent non seulement nos instruments mais aussi nos moments de stress et de névroses. Et puis ils sont devenus des amis fidèles au fil du temps. Cela fait plus de vingt ans que je vais à l’Atelier Vatelot Rampal. Et à chaque fois que j’y vais, c’est un peu comme si j’allais « à la maison ». 

Le coeur de la préparation 🎼 🎻

Bon, c’est bien tout ça, me direz-vous… mais alors, quand est-ce qu’on joue ?

 

La gestion du temps, c’est bien sûr avant tout l’organisation de mon temps de travail personnel. Là il s’agit de préserver des îlots de calme, de réflexion, de contemplation. Ce qui est dur à quantifier. En fait, c’est un processus d’intégration qui passe par différents canaux et différentes phases ou séquences difficilement séparables.

 

Dans ce temps de travail personnel, j’inclus aussi la préparation physique, la réflexion sur la posture et des étirements sous forme d’exercices de QiGong par exemple. Car la préparation de la scène, au-delà de l’apprentissage d’une partition, se décline dans trois aspects : le mental, l’émotionnel et le physique. J’en parlerai plus longuement une prochaine fois.

Des neurosciences au violon ou comment optimiser son travail ⏳

Entre mes 15 et 30 ans, il m’est arrivé de travailler régulièrement 8 à 9 heures par jour. Mes (pauvres) voisins s’en souviennent. Avec le recul, j’émets de sérieux doutes sur la nécessité d’une telle quantité d’heures. Il est vrai qu’à cet âge, l’enjeu est autre. Il y a une vraie boulimie musicale – on veut tout jouer – et on s’attelle à construire son répertoire, à développer une relation forte à l’instrument. 

 

Pour autant, mon rythme de vie (déplacement, enseignement, études supérieures) m’a amenée à privilégier la qualité à la quantité. Le pédagogue russe Leopold Auer conseillait à ses élèves de travailler au maximum trois heures par jour. Au-delà il y a un risque de saturation des capacités d’intégration du cerveau. Et il faut reconnaitre que la quantité sert souvent seulement à nous « rassurer » et à calmer nos états de nervosité. Mais cela a un prix fort sur le corps – fatigue physique et sur-sollicitation musculaire – et sur le mental – perte de la ferveur et de la fraîcheur par rapport à la pièce. 

 

Alors, avant d’attaquer une phase de préparation intense pour une séquence de concerts avec un nombre de pièces conséquent, la première chose que je fais est de m’armer d’une feuille de papier et d’un crayon. J’essaie tant bien que mal d’évaluer le temps nécessaire pour chaque pièce et de voir sous forme de rétro-planning quand chaque pièce doit être « visitée », lue ou relue. Parfois, j’ai l’impression de jongler. 

 

J’ai aussi appris avec le temps l’importance de prévoir des phases sans travail actif. Laisser le cerveau intégrer les données, en mode « veille ». Le moment où je sais que la digestion a lieu est quand je « rêve » littéralement de la pièce, elle se rappelle à moi dans ma tête, je me mets à la chanter intérieurement, à percevoir de nouvelles relations à l’intérieur de l’œuvre. C’est un processus assez irrationnel.

Laisser le temps au temps

Il faut arriver à créer des priorités, entre pièces neuves ou anciennes. Ne commencer ni trop tôt (c’est rare!), ni trop tard pour selon les cas, garder la fraicheur et/ou laisser mûrir. C’est une équation tendue. Sachant que l’idéal est cette sensation de rêver les pièces, de les re-composer, autrement dit de les avoir intégrées tellement qu’elles n’ont plus qu’à jaillir de notre inconscient. Un idéal entre abandon et contrôle.

 

La construction de ce planning est parfois périlleuse entre temps long, moyen et court.

Par « temps long », j’entends d’abord le fait que j’ai commencé à jouer du violon et à étudier la musique à trois ans. Donc je peux m’appuyer sur maintenant plus de trente ans de musique à hautes doses quotidiennes. J’ai déjà un long passé avec certaines pièces qui habitent mon imaginaire depuis la plus tendre enfance.

 

Le temps moyen, c’est le fait qu’au cours des études et des différents concerts et festivals, j’ai construit une large base de répertoire que je joue plus ou moins régulièrement; un peu comme si, je disposais maintenant de pièces en stock dans mon congélateur ou disque dur…comme vous voulez ! On en deviendrait presqu’un juke-box !

 

Le temps moyen, c’est aussi celui de l’anticipation de l’apprentissage de nouvelles pièces. Par exemple de pièces ardues ou de musique contemporaine qui nécessitent une réflexion sur le langage, la lecture de la partition ou alors pour la mémorisation de certaines pièces, comme je l’ai fait pour les sonates de Schumann avec Abdel Rahman El Bacha. 

 

Le temps court, c’est celui de l’apprentissage de nouveaux répertoires, parfois à une vitesse grand V. Expérience, rapidité de lecture à vue, anticipation des formes et des structures : on a des kilomètres au compteur. Entre création d’œuvres nouvelles et festivals de musique de chambre ou remplacement au pied levé.

La vertu des basiques

Une  de mes lubbies, et mes élèves le savent, c’est la pratique des basiques. J’ai découvert ce concept lors de mon année passée à enseigner à la Taipei National University of the Arts en 2009. Dans la bibliothèque principalement anglophone, j’ ai découvert des trésors pédagogiques sous la forme des méthodes écrites par le professeur anglais Simon Fischer. Je me suis ainsi familiarisée avec les techniques d’enseignement de la grande pédagogue du violon américain, Dorothy Delay. Professeur célèbre qui a enseigné à la Juilliard School de New York et ancienne assistante d’Ivan Galamian. Je vous reparlerai de ces figures de la pédagogie du violon. 

 

L’idée maîtresse est la suivante. Quand on dispose d’un temps limité, à quel tâche consacrer ce temps ? Il existe à ce sujet une jolie histoire qui dit qu’à choisir un bûcheron, passera le maximum de ce temps imparti à aiguiser ses outils, à affûter sa hache. De même pour les sportifs qui vont mettre le maximum de leur temps sur la préparation de fond. Et bien pour nous, il y a quelque chose de similaire. A choisir entre répéter (au sens littéral du terme) un morceau, on préférera huiler les rouages, faire des gammes et des sons filés pour retrouver les sensations profondes, « serrer quelques boulons ». 

Alors, musicien ou chef cuisinier ?

Le grand violoniste russe (mon idole, vous le savez déjà), Jascha Heifetz disait :

« Pour jouer du violon, il vous faut les nerfs d’un torero, la vitalité d’une hôtesse de boîte de nuit et la concentration d’un moine bouddhiste ».

 

J’aurais envie de rajouter à cette description de compétences, celle du sens de l’organisation d’un chef cuisinier. Si on file la métaphore, il s’agit non seulement de concocter un plat savoureux, respectueux de la recette et créatif, innovant avec une touche personnelle mais aussi de choisir les meilleurs ingrédients, de maitriser le temps de cuisson des différents plats : savoir quand lancer en cuisine les différents plats pour qu’ils soient présentés et servis à la juste température, à temps. 

 

Dans la musique, rien que dans la musique

Qui eût cru qu’être musicien pouvait générer de telles activités et un tel sens de la planification ? Alors oui, certains artistes sont entourés d’une équipe qui les bichonne, les babysitte même parfois. Et certains de mes collègues sont chroniquement désorganisés et en retard. On les aime quand même…

 

En fait, le but de toutes ces actions contrôlées, c’est de créer l’espace pour accueillir un moment de magie, un moment de liberté. Tout ce chaos, ce bruit organisationnel tend vers une harmonie, et surtout vers un moment de silence. Finalement, le moment du concert où l’on se retrouve sur scène, silence avant que la musique ne commence. 

 

Vous vous doutez que j’ai hâte d’être sur la route… je vous écris d’ailleurs depuis un Eurostar bien matinal.  

 

En fait, j’ai hâte surtout d’être dans ces moments « hors du temps » où je suis dans la musique, rien que dans la musique.

🎬

#unevieenviolon #alifewithaviolin

Si cet article vous a plu, vous pouvez le diffuser et me suivre aussi sur ma page Facebook. Et avant toute chose, je vous invite à venir discuter avec moi en commentaires !

Une rentrée bien chargée et pleine de musique

Je n’ai pas l’habitude de beaucoup écrire ici. Mais voilà, nouvelle résolution pour la nouvelle saison. Je vais essayer de partager avec vous un peu plus de mon actualité et de mes activités. 

J’aimerais vous parler aujourd’hui de mon programme des trois prochains mois. Je suis impatiente de commencer une série de beaux rendez-vous musicaux. J’ai hâte de jouer avec des collègues merveilleux comme Nicholas Daniel, Katya Apekisheva et Leonard Elschenbroich à Leicester (UK), Aurélien Pontier à Düsseldorf (Allemagne) et Poitiers, Abdel Rahman El Bacha et Tedi Papavrami en Italie. 

Le répertoire va être conséquent : pièces francaises en solo avec orchestre, le Concerto de Beethoven, les sonates de Schumann, Schubert et Brahms, trios de Beethoven, et beaucoup de musique de chambre de Dvorak, Martinu, Bartok et Rachmaninov ainsi que de la musique contemporaine de Thea Musgrave. 

Ce qui m’excite en particulier, ce sont la variété des lieux dans lesquels je vais me produire, les multiples collaborations artistiques qui m’attendent et le vaste répertoire que je vais jouer. 

© Marco Borggreve

The new season is starting !

Dear friends, liebe Freunde, cher.e.s ami.e.s,
here is an overview of my concert dates for the next months. I will be travelling a lot. I hope to see many of you here and there. Please do let me know if you are coming to some concerts and most importantly, come and say Hi afterwards ! Sometimes some people think it disturbs the artist and they don’t dare come but let me tell you something, it is not true for me. Of course, it might happen that I am exhausted and need to get changed very quickly or that I am just starving, but being in touch with the audience after a performance is so rewarding.
That being said, I look forward to playing with wonderful colleagues like Nicholas Daniel, Katya Apekisheva and Leonard Elschenbroich in Leicester (UK), Aurélien Pontier in Düsseldorf (Germany) and Poitiers (France), Abdel Rahman El Bacha and Tedi Papavrami in Italy. And the repertoire is going to be huge : french solo pieces and Beethoven Concerto, sonatas by Schumann, Brahms, trio by Beethoven, lots of chamber music by Dvorak, Martinu, Bartok and Rachmaninoff and contemporary music by Thea Musgrave. Wish me luck ! And See you soon !