#21 – Frédéric Lodéon, une interview (2/2)

#21 - Frédéric Lodéon, une interview (2/2)
Une histoire de mentors, de public et de ... western ! 📻

La semaine dernière je vous dévoilais les épisodes 1 et 2 de mon entretien avec Frédéric Lodéon.

 

 

avec au menu :

 

Aujourd’hui, épisodes 3 et 4 !

Episode III. Entre médias et musique - les mentors

Au vu de la trajectoire de Frédéric, entre musique et médias, pas étonnant de distinguer deux mentors d’un sacré calibre :

 

– Le mentor des médias : Jacques Chancel rencontré lors des Grands Echiquiers et

 

– le mentor de violoncelle, de musique… et de vie : Mstislav Rostropovitch, l’immense violoncelliste.

  • Parlons de Rostro

 

Rostro, c’est bien sûr le surnom habituel de Mstislav Rostropovitch – alias Slava pour les intimes.

 

En 1977 Frédéric remporte le 1er Prix du concours Rostropovich « pour la musique contemporaine ». Sacré intitulé ! Le concours est une aventure romanesque car Frédéric y arrive comme grand favori. Avec au fond, tout à perdre.

 

Imaginez !

 

En 1976 Frédéric a tourné avec le concerto de Dutilleux, qu’il a appris à la demande du compositeur comme « doublure » de Rostro. Le compositeur tiendra d’ailleurs promesse. Même si Rostro ayant obtenu son visa, fait finalement la création à Paris, Dutilleux fera programmer Frédéric. Il jouera “Tout un monde lointain” avec le Philharmonique de Radio France, à Amsterdam, à Lille, à Strasbourg et à Tours !

 

Rostro avec Dutilleux

 

En 1976 Frédéric joue aussi avec l’Orchestre de Paris les variations Roccoco sous la direction de Colin Davis.

 

Le Concours Rostropovich

 

Rostropovich souhaite organiser un concours comme le célèbre concours Tchaikovsky à Moscou. Il demande à son ami Claude Samuel de l’aider à l’organiser. Impossible de trouver une salle à Paris. Alors Claude Samuel propose d’amener le concours à la Rochelle, où il dirige un festival.

 

Malgré la désapprobation de Daria Hovora, sa partenaire pianiste, Frédéric se décide à y prendre part – “par amour pour Rostro”, qu’il connait déjà.
Mémoire impressionnante. Il se souvient de chaque détail, comme si c’était hier.

 

En finale, le 2e concerto de Shostakovich. Dans les épreuves précédentes, il joue avec Daria, qu’il a quand même réussi à convaincre de venir, la 4e sonate de Beethoven, la Suite italienne de Stravinsky mais aussi Kottos pour violoncelle seul de Xenakis, le compositeur grec dont le langage est extrêmement complexe. Frédéric avoue avoir improvisé des passages littéralement injouables !

 

Xenakis siège d’ailleurs dans le jury !

 

Un jury…improbable :
avec les compositeurs Henri Dutilleux, Luciano Berio et Yannis Xenakis ainsi que les violoncellistes Zara Nemtsova, Pierre Penassou du Quatuor Parrenin et bien sûr Rostro.

 

Frédéric, du haut de sa carrière déjà florissante avec son beau costard n’a pas les faveurs de tous les membres de ce jury coloré… !

 

Les intrigues vont bon train. Mais cette fois, Rostro est derrière son poulain. Frédéric remporte ex aequo le 1er prix. Il ne faut pas non plus exagérer ! Il sera d’ailleurs le français de l’histoire du concours à remporter le 1er prix.

 

 

Tout en exprimant son admiration pour le musicien Rostro, Frédéric souligne aussi la complexité du personnage. Son immense talent et son image bonhomme ne sauraient cacher un goût du pouvoir prononcé. Bref ! Humain, trop humain.

 

Mais ce sont aussi des moments d’inspiration pure que reçoit Frédéric auprès de Slava.

 

Lors de rencontres privilégiées, le grand violoncelliste russe raconte ses expériences auprès des compositeurs qu’il a fréquentés intimement que ce soit Shostakovich ou Prokofiev.

 

 

Avec Rostro, on ne parle pas de technique, mais on parle musique, imagination.

 

Assis au piano, il connait tout de mémoire. Ainsi lorsqu’il montre la mort de Don Quichotte dans la pièce éponyme de Richard Strauss, il s’effondre de manière si saisissante… que Frédéric se demande si le maître ne vient pas de laisser s’échapper son dernier souffle. Littéralement – « Un comédien infernal ! »

https://www.youtube.com/embed/-nXKxoIVQhw

 

Frédéric rentre dans l’intimité du couple Rostro et de son épouse, la grande chanteuse Galina Vishnevskaya. Lors d’une soirée où il est invité chez eux, sur la table – saucisson et escargots. (Une “horreur” ). Frédéric amène des mets raffinés, du champagne, du saumon fumé.

 

Il se fait bien sûr gronder, pour la forme, comme si il avait fallu venir les mains vides : « Plus jamais ça, Frédéritchik ! »

 

Mais évidemment, Slava, les yeux gourmands se réjouit et s’empresse de mettre le saumon et le champagne au frais.
Tout un poème !

  • L’autre mentor, non moins impressionnant, c’est Jacques Chancel.

 

Lors du Grand Echiquier de Mars 76 c’est lui qui a révélé les capacités médiatiques de Frédéric.

 

Le jeune Frédéric sous le regard de Jacques Chancel

 

En 1989, suite à un changement de direction, le Grand Echiquier est arrêté. Mais en 1990 Chancel est nommé directeur d’antenne sur FR3. Il propose à Frédéric une émission de musique classique. Ce sera Musique, Maestro !

 

« Attention de bien l’écrire ! » me dit Frédéric.
« Avec deux majuscules et un point d’exclamation : ça claque ! »

 

C’est vrai !

 

Frédéric est ravi. On annonce six épisodes. Mais après la première, levée de bouclier de collègues jaloux. C’est sans compter sur le public, qui contre-attaque et réclame ce qui a été annoncé ! La rédaction de l’antenne est inondée de lettres. À nouveau !

 

On reprend alors l’émission comme prévu !

 

Frédéric me décline de mémoire les mois et les lieux des émissions : chaque numéro fait découvrir un orchestre de région.

  • Février 91 : orchestre du Capitole avec Michel Plasson
  • Mars 91 : Orchestre d’Auvergne avec Jean-Jacques Kantorow
  • Avril 91 : Orchestre de Montpellier avec René Koering
  • Mai 91: Orchestre de Bordeaux avec Alain Lombard
  • Juin 91 : Orchestre de Strasbourg avec Theodor Guschlbauer

 

Cela laisse rêveur…

 

Lors de la conception de l’émission, l’ambiance est houleuse avec la production.

 

Frédéric, meurtri, appelle Chancel et exprime sa déception: « Vous m’aviez promis le paradis, et c’est l’enfer ».

 

Le mentor ne se laisse pas attendrir et remet Frédéric en place aussi sec.

 

« Je te donne une chance, et voilà ce que tu as à me dire ? Premièrement, si tu ne peux pas le faire, je prendrai quelqu’un d’autre. Deuxièmement, prends le pouvoir ! »

 

A la dure…mais efficace.

 

Frédéric se ressaisit aussitôt. Il remet les choses en place de son côté. Un coup de fil bien envoyé, et l’aventure se poursuivra avec un autre producteur.

 

Voila de sacrées leçons de vie !

Episode IV. Du violoncelle au discours musical

La relation au violoncelle de Frédéric n’est pas si simple. Des débuts en opposition avec sa maman jusqu’aux succès éclatants des concours et des concerts avec orchestre, Frédéric me laisse entrevoir des zones d’ombre.

 

Il y a d’abord l’objet-violoncelle, si lourd à transporter.

 

Je vous en parlais lors du voyage vers Paris dans l’enfance pour aller jouer à Navarra. Mais ce thème revient dans notre conversation plusieurs fois.

 

« C’est une torture de transporter la boîte de violoncelle aux quatre coins du monde » concède Frédéric. Sans parler de prendre l’avion avec : « Un cauchemar ! »

 

Et puis, il me révèle une pudeur voire une gêne extrême par rapport au voisinage lorsqu’il travaillait son instrument. Il ne fallait surtout pas que quelqu’un l’entende ! Il arrêtera de jouer à 18h quand il apprendra qu’une voisine l’écoute. Il ira même jusqu’à déménager quand il réalisera que sa voisine du dessus est une critique musicale d’un grand journal.

 

En 1989 Frédéric se fait mal au poignet – une foulure « pas grand chose, en fait ! » me confie-t-il. Le fait de ne pas pouvoir jouer temporairement l’amène à découvrir d’autres possibilités ou plutôt d’autres vies possibles. Il fait ses premiers pas avec la direction d’orchestre, jeté dans le grand bain par son ami, Laurent Petitgirard.

 

« Tu n’es pas plus bête qu’un autre. »

 

Il se lance lors de concerts sur le bateau « le France » et tout se passe à merveille. Sa musicalité l’accompagne.

 

C’est juste après que Chancel lui propose la série d’émissions « Musique, Maestro ! ».

 

A ce moment-là, Frédéric réalise qu’une autre vie est non seulement possible mais en train d’advenir.

 

Et au fond, on peut se dire que sa mère qui avait pressenti et alimenté son talent pour le verbe pouvait peut-être enfin se réjouir pleinement ?

 

D’ailleurs il faut signaler que Frédéric sera honoré plus tard en 2007 par le Prix Richelieu. Prix décerné par un jury de haute voltige à un journaliste pour la qualité de son usage de la langue française, c’est dire !

 

Sa carrière à la télévision puis à la radio est impressionnante. Pourtant Frédéric doit faire preuve de persévérance et de ténacité. Cette carrière se développe dans le cadre d’un véritable western politique. Il y a beaucoup d’influences politiques en jeu et donc beaucoup de péripéties. Heureusement en contrepoint à la valse des directeurs, on retrouve le soutien du public comme leitmotiv.

 

Entre les directeurs qui trouvent la musique classique trop élitiste et ceux qui avouent littéralement que « Ca n’est pas leur truc », il y a de quoi pâlir.

 

Frédéric peut se targuer d’une impressionnante liste d’émissions : sur France Inter bien sûr, c’est le Carrefour de Lodéon face à Bouvard sur RTL et Ruquier sur Europe 1. « Il m’est arrivé de dépasser Ruquier ! » tout est dans l’art de la contre-programmation !

 

Il y a aussi les Grands Concerts de Radio France qui s’ouvrait après le Masque et la Plume le Dimanche soir avec la musique inoubliable de Delibes : la Mazurka de Coppélia !

https://www.youtube.com/embed/2r1DScXujgM

 

Sur France Musique, c’est « Le Pavé dans la mare » jusqu’en 2006 puis Plaisirs d’amour jusqu’en 2014.

 

Sa notoriété, Frédéric l’attribue aussi beaucoup à la télévision. « Ah, l’exposition à la téle ! ». Il faut dire qu’il présente pas moins de dix-sept fois les Victoires de la Musique classique, un record !

 

Il est en tandem avec une longue liste de co-présentateurs : Patrick de Carolis, Marie Drucker, Louis Laforgue, Claire Chazal, Leïla Kaddour-Boudadi.

 

 

Le soutien que le public lui témoigne tout au long de sa carrière n’est pas volé ! C’est un vrai amour du public qui anime Frédéric et une conviction profonde qu’il faut rendre la musique classique accessible.

 

En fait, son public imaginaire, ce sont ses copains de bistro, des travailleurs. Il comprend qu’il faut diffuser des extraits d’un format d’une chanson et qu’il faut raconter une histoire. Le but, c’est de « trouver le dénominateur commun entre Beethoven et l’auditeur pour dégager l’humain». Voilà !

 

Depuis 2014 Frédéric amène le Carrefour de Lodéon sur France Musique. Il y est heureux, avec le soutien de sa direction. C’est un état de bonheur et de sérénité avec Marc Voinchet et Stéphane Grant.

 

 

Un brin sentimental, même. Lorsque Marc Voinchet amène une bouteille de champagne pour féliciter Frédéric des bons résultats de l’audimat, on entend le « pop » de la bouteille débouchée à l’antenne. Et Frédéric garde le fil de fer de la bouteille comme un talisman, une marque d’affection.

 

« Il est peut-être plus tard qu’on ne croit ! » me dit Frédéric pour refermer notre entretien.

 

Il aimerait lever un peu le pied. Il faut dire qu’il travaille comme un acharné… mais le public et sa direction l’aiment.

 

Moi, je reste médusée face à une vie si riche et je suis comblée face à un tel partage.

 

Car les questions que je me posais en allant interviewer Frédéric relevaient de cet ordre des choses.

 

Vous savez, ces questions somme toute universelles :

 

Comment nait une vocation ?
Comment décide-t-on de s’engager dans la voie de musicien professionnel ?
Comment se dessine un chemin de vie face aux aléas de la vie ?
Comment devient-on qui l’on est et même qui l’on ne savait pas pouvoir être ?

 

Je suis ressortie avec des leçons de vie partagées et des histoires à n’en plus finir.
Car vous vous en doutez, je ne vous ai pas raconté la moitié !

 

Que d’inspiration !

 

Alors, merci, Frédéric pour ce partage incroyable !

 

🎬

 

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#20 – Frédéric Lodéon, une interview (1/2)

#20 - Frédéric Lodéon, une interview (1/2)
Une histoire de lettre, de violoncelle et de... fusée 💌🎻🚀

Aujourd’hui je vous livre des éléments de l’entretien que j’ai eu la joie de mener avec Frédéric Lodéon. Je vous en parlais déjà dans le dernier numéro.

 

 

Voici le menu que je vous propose aujourd’hui :

  • le premier épisode, c’est la famille, le violoncelle et la lettre à Navarra.
  • le deuxième épisode, ce sont les passages au Grand Echiquier – des « fusées » médiatiques comme les appelle Frédéric.
  • le troisième, ce sont les deux grands mentors : Jacques Chancel pour la TV et Mstislav Rostropovich dont il gagne le concours et auprès duquel il reçoit des leçons aussi bien de musique que de vie.
  • le quatrième, c’est le passage du violoncelle au verbe : sa relation au violoncelle, une foulure au poignet – le moment où Frédéric réalise qu’il peut faire autre chose que du violoncelle : la direction d’orchestre et les médias. Puis le western politique autour des émissions de radio dont le célébrissime « Carrefour de Lodéon » et bien sûr, le soutien inconditionnel du public.

 

Quelques repères chronologiques🗓

Frédéric Lodéon en 10 dates

– 1952 : naissance à Paris
– 1969 : 1er prix de violoncelle au Conservatoire de Paris
– 1972 : 1er prix au concours Maurice Maréchal
– 1975-1976 : Premiers passages au Grand échiquier
– 1977 : 1er Prix du concours Rostropovich
– 1990-1991 : émission TV « Musique, Maestro ! » en 6 épisodes
– été 1992 puis été 1993 : débuts du Carrefour de Lodéon sur France Inter suivis des Grands concerts de Radio France, Le Pavé dans la Mare et Plaisirs d’amour sur France Musique
– 2002-2018 : Co-présentateur des Victoires de la Musique classique
– 2014 : Le Carrefour de Lodéon passe de France Inter à France Musique
– 2017 : Victoire de la musique d’honneur

Episode I. Une lettre pour un destin de violoncelliste

Frédéric et le violoncelle, c’est l’histoire d’un petit garçon doué comme rarement. Une mère obsédée de lettres et pas convaincue par un destin en musique pour son fils, un professeur de violoncelle au nom… improbable d’Albert Têtard (« Ca ne s’invente pas » me dit Frédéric !) et un heureux concours de circonstances.

 

Reprenons.

 

Le père de Frédéric venu de la Martinique est directeur du Conservatoire de St-Omer. Il sera ensuite nommé à Grenoble.
Le fameux professeur Têtard détecte un talent incroyable chez le jeune Frédéric. Il l’encourage à poursuivre dans le violoncelle et à aller dès que possible à Paris. Mais la mère de Frédéric est loin d’être enthousiaste à l’idée du violoncelle comme voie professionnelle. La règle, c’est : « Passe ton Bac, d’abord ! »

Ce qu’elle espère pour Frédéric, ce sont des études de lettres, domaine dans lequel Frédéric manifeste déjà des facilités.
Les lettres, l’école et le verbe, c’est la possibilité d’ascension sociale. Dans la famille en Martinique, c’est ainsi que le grand-père est devenu Sénateur.

Bien sûr la maman réticente changera de discours plus tard, une fois la réussite de Frédéric avérée. Elle dira avoir beaucoup poussé les études musicales de Frédéric.

« Elle ne faisait rien à part m’aider à tourner les chevilles quand j’avais huit ans. Je n’avais pas assez de force pour les tourner tout seul. Evidemment elle n’entendait pas la hauteur des sons, c’est moi qui lui disais trop haut, trop bas ! » -me confie Frédéric avec un brin d’ironie dans la voix.

 

Face à l’opposition de sa mère Frédéric menace :
« Si je ne joue pas de violoncelle, je me suiciderai ! ».

En attendant, heureusement le professeur Tétard est sûr de ce qu’il voit et de ce qu’il entend.
« Je n’ai jamais eu un élève comme toi! »

 

Alors, le jeune Frédéric prend son courage à deux mains et écrit à André Navarra, le célèbre violoncelliste.

 

 

« Cher Maître,
je voudrais vraiment faire du violoncelle et mon professeur m’encourage dans cette direction. Mais mes parents ne veulent pas… »

 

Qui sait ce qu’il serait advenu de cette correspondance sans un heureux hasard ?
Le père de Frédéric, en tant que directeur de Conservatoire, est invité à faire partie d’un jury au Conservatoire de Paris. Il y croise Maître Navarra.

Navarra pense à haute voix : « Tiens, il y a un jeune Lodéon, violoncelliste, qui m’a écrit! ». Le père fait le lien. Navarra propose d’écouter le jeune Lodéon.
« Amenez-le moi ! C’est simple. Je vous dirai ! ».
Et comme le souligne Frédéric : « A cette époque, on ne discutait pas les ordres du maître ». Ambiance.

 

Alors, sa mère l’amène de St-Omer à Paris en train. Frédéric se souvient même du changement de train à Arras ! Il me précise que le violoncelle était dans une housse, un sac de tissu. A cette époque, pas de boîte autre que des boîtes-cercueil, qui portent bien leur nom funeste. Ce sont des boîtes noires, tellement lourdes qu’elles en sont quasiment intransportables.

 

Porter le violoncelle est d’ailleurs un leitmotiv de l’histoire lodéonesque.
Je vous en reparlerai !

 

La rencontre avec Navarra est limpide. La salle de conservatoire, le maître avec son fume-cigarette et sa voix grave de fumeur. On visualise la scène. Oui, il s’agit d’une époque où les professeurs de musique fumaient en classe.

 

 

Le verdict est clair : « Qu’il vienne dès que possible étudier au Conservatoire de Paris ».
En 1967, du haut de ses 15 ans, il « étale tous les autres concurrents» et rentre 1er nommé devant 80 candidats.

 

La mère fait promettre, Frédéric poursuivra ses études générales par correspondance. Le centre de télé-enseignement de Vanves, ancêtre du CNED il me semble. Frédéric aime le français, l’allemand, l’histoire. Mais il a horreur de la trigonométrie.

Il habite seul dans une chambre de bonnes dans le 7e arrondissement, trouvée grâce à la concierge de sa grand-mère. Il est d’ailleurs à deux pas de cette grand-mère chérie, chez qui il amène son linge.

 

Il tiendra sa promesse…une année durant, allant même jusqu’à Vanves pour porter un devoir en retard. Mais les études de violoncelle emportent tout.

 

« La bête de son instrument »

 

Ce talent éclatant et évident (il suffit de voir Frédéric sur un violoncelle) se concrétisera par son prix, obtenu en 1969.

 

 

Puis en 1972 il remporte le concours Maurice Maréchal où il « étend tous les violoncellistes ».
Et son assurance hors-norme que Frédéric raconte avec beaucoup d’humour, ne laisse aucun doute.
« J’étais un petit con, tellement sûr de moi »:

 

Car Frédéric sait qu’il dispose de moyens instrumentaux extraordinaires et qu’en plus, il « déchiffre comme une bête ! ». Lors de ses tournées avec la pianiste Daria Hovora, musicienne bardée de prix de conservatoire, il n’a peur de rien.
Quand elle lui demande quand répéter leur programme dont une sonate de Beethoven, il fait mine de ne pas bien comprendre. Pourquoi trop répéter ? – « Beethoven c’est carré » ! #petitcon

 

Jean Hubeau, son professeur de musique de chambre l’emmène chez Michel Garcin, directeur de la maison de disques Erato.
Garcin lui demande :
« Alors, jeune homme, vous allez faire carrière ?
– Bien évidemment ! » lui répond-il avec aplomb.

 

Il faut dire que Navarra lui avait confié « C’est toi qui me succèderas ».

 

De cette rencontre avec le directeur d’Erato, naît le premier disque enregistré trois semaines plus tard : « Impensable de nos jours ! »
L’enregistrement aura lieu à l’église du Liban avec Daria Hovora. Au programme, les sonates de Richard Strauss et de Prokofiev qui ne sont pas encore au catalogue d’Erato !

 

Episode II. Fusées de lancement avec le Grand Echiquier

Remplacement au pied levé
En Décembre 1975 encore un concours de circonstances.

Le fameux violoncelliste Maurice Gendron, déjà malade, annule sa participation au Grand Échiquier. Bruno Monsaingeon recommande Frédéric auprès de Chancel et de Menuhin.

Frédéric jouera donc avec Yehudi Menuhin et sa sœur Hepzibah le Pas de deux de Lac des cygnes de Tchaikovsky dans lequel il interprète un joli solo de violoncelle.

https://www.youtube.com/embed/dWJqaWzIPIo

 

Frédéric achète un costume pour l’occasion, même s’il ne réalise qu’un peu trop tard se sentir « coincé aux manches » !

 

Menuhin, convaincu par le jeu de Frédéric, dit à Chancel de le réengager et cela se concrétise dès Mars 1976.

 

Printemps des jeunes
En Mars 1976, Chancel décide d’organiser un « Printemps des Jeunes » : une émission consacrée à la jeunesse et faite par les jeunes. L’appel est lancé.

Différents jeunes musiciens soumettent des propositions.
Par exemple, Emmanuel Krivine, magnifique violoniste à l’époque – actuellement chef d’orchestre de l’Orchestre National de France, fait une proposition sur…le faux en art ! Son projet est de parler des faux artistes, des escrocs en art. Tout un programme, dont on reconnaît la causticité légendaire de l’auteur ! 

 

 

Chancel veut quelque chose de plus… positif pour susciter de l’enthousiasme.
Il retient la proposition du jeune Lodéon qui a construit ainsi un conducteur avec un projet aussi ambitieux qu’enthousiasmant, à son image déjà.

Trois idées porteuses :

– Il se dit qu’il faut aller rencontrer les jeunes là où ils sont : voir où vivent les jeunes (écoles, collèges, lycées) mais aussi en usine (à cette époque les 14-16 ans y sont déjà) ou sur les terrains de sport.

– Il constitue un orchestre avec des jeunes. Projet assez polémique puisque cet orchestre se fait « à la place de cachetonneurs de l’Opéra ». Il ramène tous les jeunes musiciens qu’il connaît de son QG de l’époque, le Café de l’Europe près du conservatoire.
Pour diriger cet orchestre fabriqué pour l’émission, il fait appel au chef Pol Mule qui est un peu désœuvré à cette époque et qui accepte avec joie.

– Et puis, bien sûr, il y a les copains : Emmanuel Krivine, la pianiste Daria Hovora, le violoniste Augustin Dumay ou Pierre Amoyal – un des deux forcément.

Il souhaite inviter Isabelle Adjani – « qui n’est déjà pas libre ! ». Elle vient de triompher dans l’Ecole des femmes, du haut de ses 17 ans.

https://www.youtube.com/embed/H0h015MhnoI

 

Pour faire rayonner un esprit jeune, il y a aussi Michel Piccoli, plus âgé car « les jeunes – ce n’est pas une question d’âge mais d’esprit ! ».

 

Frédéric a conçu le conducteur de l’émission. Il est assis à la droite de Chancel. Il parle et joue – exercice au combien difficile, et ce pendant trois heures !
L’émission est un triomphe. L’antenne reçoit des sacs de lettres – cela fait le « buzz » comme on dit de nos jours.

 

D’ailleurs un des spectateurs emballés par l’émission ne sera rien moins que Pierre Mendès France, qui confie à son épouse :
« Je voudrais que tous les jeunes français soient aussi enthousiastes que ce gamin. »
Passage mémorable !

 

En 1982, Frédéric sera d’ailleurs sollicité pour jouer lors de la cérémonie funèbre de l’ancien Premier Ministre transmise à la télévision sur TF1. Frédéric jouera dans la cour de l’Assemblée Nationale devant toute la classe politique (François Mitterrand, Jack Lang) l’Allemande de la 2e Suite de Bach avant que la pluie ne commence à tomber doucement à la dernière note.

 

« C’est le ciel qui pleure », lâche un politique.

https://www.youtube.com/embed/YhOU6S6QIQo

 

Sacré trio

Une autre fusée médiatique sera le passage dans un autre numéro du Grand Echiquier en 1980/81 – « Trois de la musique » où Frédéric se produit avec ses compères le violoniste Augustin Dumay et le pianiste Jean-Philippe Collard.

Dans ce sacré trio, Frédéric est « le voyou », il apporte de la « virulence et du contraste ». Ce trio connaîtra un immense succès notamment en Suisse, Belgique et France. Il faut dire que les trois envoient du son, ils sont « bruyants » et n’ont aucun problème à remplir, à eux trois, les grandes salles.

 

 

Ils enregistreront des CDs fameux Schubert/Ravel, une intégrale Fauré.
Dommage qu’il n’y ait pas Brahms, dont Frédéric adore la matière sonore et le romantisme incarné.

 

Malgré les complaintes du magazine Télérama, qui reproche à Chancel d’inviter toujours les mêmes : Raymond Devos, les sœurs Labèque, Lodéon – Chancel tient son cap.
En tout, Frédéric participera à quinze Grands échiquiers de 1975 à 1989, date d’arrêt de l’émission.

 

( … )
Je sais que vous êtes impatients !
Je vous retrouve la semaine prochaine pour les épisodes 3 et 4 !

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LdM

Tribune sur la Lettre du Musicien

*** La lettre du Musicien ***

Ta Daaaa ! Retrouvez ma tribune « Le trac, parlons-en! » dans le nouveau numéro de la Lettre du Musicien.

Cette thématique est aussi brûlante qu’essentielle et mérite d’être abordée aussi bien dans la salle de classe que dans la salle de répétition pour le musicien…mais aussi pour chaque prise de parole en public !

Et vous, le trac, ça vous parle ?
Hâte de vos retours !

ici